Je m’suis fait tout seul moi Môssieur !
Emblématique du rêve américain et de ses fameux self-made-men, cette quasi injonction résonne plus souvent que jamais dans les discours, les reportages, les portraits de figures montantes qui fleurissent dans nos médias, comme pour encourager cette course à l’individualisme forcené qui semble avoir gagné notre planète toute entière en ce début de XXIè siècle.
Forcément synonyme de réussite – l’expression « je me suis défait moi-même » est loin d’avoir acquis la même notoriété… – elle nous indique la valeur exceptionnelle de cette personne qui aura su s’extraire de la masse grouillante des anonymes, des ratés par conséquent, et justifie son accession au grade sacré des premiers de cordées jadis si magnifiquement glorifiés par un président de la république dont j’ai fini par oublier le nom.
Je passerai sur les inévitables blagues que cette maxime peut susciter, nous entraînant sur les pentes plus que glissantes de l’onanisme ou de la procréation mais il est vrai qu’à ce stade déjà, on voit bien que cette proclamation ne tient pas la route. Du moins pas à la lumière de nos connaissance scientifiques actuelles. Et que dire du stade suivant, la naissance, où aujourd’hui encore il est nécessaire de faire appel à nombre de personnes compétentes pour que le « sujet » bénéficie de toutes ses chances et espérer un jour payer ses impôts, voter contre Le Pen au second tour et prendre sa retraite bien méritée quelques semaines après* être décédé d’un virus inconnu ou broyé par ses 387 trimestres de travail non rémunérés obligatoires.
Vient ensuite la douce époque de l’éducation et de l’instruction et là encore, sauf à avoir vu le jour sur une île déserte, dépourvue de faune, d’école ou de bar associatif, il nous semble compliqué d’expliquer comment le « sujet » pourrait ne pas avoir profité de l’enseignement d’autrui, sans compter que cela nous renvoie à la nullité des deux précédentes étapes.
Bref, notre « sujet » est arrivé à l’âge adulte et se met donc à la recherche de la première cordée à tirer pour en devenir le « premier ». Mais, me direz-vous, s’il y a cordée, c’est qu’il y a « encordé·e·s »… Hé oui ! Et n’en déplaise à certains, ces « encordé·e·s » sont pour la plupart des personnes sensibles, douées d’intelligence et manifestant des aptitudes à la vie sociale même si souvent primaires et balbutiantes.
* Une étude du MEDEF démontre cependant que pour les plus chanceux, le décès peut intervenir quelques semaines voir quelques mois après la mise au rebut.